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MUSIQUE REGGAE
Petit historique de la musique reggae
La Jamaïque, où nait le reggae dans les années 60, est une petite île des Grandes Antilles qui se situe à mi-chemin entre la Colombie et la Floride, à petite distance de Cuba.
Les Espagnols au XVIe siècle, puis les Anglais qui colonisent l'île au XVIIe siècle, vont arracher à l'Afrique occidentale (Ghana, Nigéria…) la main-d'oeuvre nécessaire à la culture de la canne à sucre. De nombreuses révoltes conduisent les colonisateurs à affranchir certains esclaves – appelés maroons –, dont la lutte contre l'oppression inspirera plus tard les rastas. L'abolition de l'esclavage, en 1834, entraîne de profonds bouleversements sociaux et économiques et un fort exode rural d'abord vers les villes, puis vers l'étranger (États-Unis, Grande-Bretagne…). Le manque de main-d'oeuvre qui en résulte est comblé par l'arrivée de migrants du monde entier, principalement chinois et indiens, qui auront semble-t-il une influence notable sur les rastas (régime végétarien, usage de la ganja...).
Les musiques de type reggae apparaissent avec la création du mento, au tournant du XXe siècle. Cette musique profondément rurale a des racines africaines sur lesquelles se sont greffées musiques européennes et rythmes cubains ou d'Amérique latine - avec des textes satiriques -, jouée par de petits orchestres composés généralement de banjos, guitares, tambourins, cuivres en bambou, flûtes et rumba box.
A partir des années 40, la Jamaïque s'enthousiasme pour le jazz, le rhythm and blues, le doo-wop et la soul - qui influenceront considérablement le développement musical de l'île –, grâce à la radio et plus tard aux puissants sound-systems qui diffusent, dans une concurrence féroce entre DJ's, les hits et raretés rapportés des États-Unis.
De son côté le percussioniste Count Ossie utilise des tambours africains ancestraux – burru - lors de ses grounations et donne naissance à un style de tambour rasta qui annonce le reggae (le Nyabinghi).
Au début des années 60 certains de ses disciples, en fusionnant jazz, mento et R'n'B, participent à l'avènement du ska qui devient en 1962, avec son rythme de boogie et ses cuivres surchauffés, la bande-son euphorique et sautillante de l'indépendance de la Jamaïque. L'enthousiasme retombé, le rythme ralentit dès 1966 avec le rocksteady dont les trios vocaux sont très influencés par la soul et les succès de la Tamla-Motown. Plus lent que le ska, plus intimiste, il met l'accent sur les harmonies vocales et la rythmique en mettant en avant la guitare basse qui remplace la contrebasse du ska et passe désormais au premier plan.
Le rocksteady préfigure le reggae, né en 1968. Musique du ghetto, le reggae roots se rapproche du gospel et des spirituals, et privilégie la spiritualité en véhiculant le message positif des rastas dont il reprend les thèmes de prédilection : le retour en Afrique, la lutte contre la corruption, l'oppression et les discriminations, une volonté d'élévation spirituelle. Le rythme s'accélère, la rythmique s'alourdit et les guitares doublent les claviers syncopés, créant des formules répétitives lancinantes. A la même époque apparaît le Dub (« copier », « doubler », en anglais). Ce procédé révolutionnaire et expérimental, qui consiste à remixer des instrumentaux de morceaux existants en accentuant telle ou telle partie et en ajoutant des effets (reverb, echo,…), connaît un tel succès qu'il deviendra rapidement un genre à part entière.
Au tout début des années 70, la vague reggae atteint l'Angleterre – via la population jamaïcaine émigrée – et les skinheads se l'approprient, attirés par le caractère festif mais aussi contestataire de cette culture de rue. Les regards commencent à se tourner vers la Jamaïque, et c'est Eric Clapton avec sa reprise en 1974 d' »I shot the sheriff », de Bob Marley, qui marque le début d'une reconnaissance mondiale pour cette musique de révolte partie des ghettos de Kingston dans les années 60 et qui aujourd'hui a influencé les musiques actuelles et conquis l'ensemble de la planète.
Quelques noms :
Mento: Stanley Beckford, Gilzene and the Bluelight, The Jolly boys
Ska: Desmond Dekker,The Maytals, Prince Buster, The Skatalites
Revival ska anglais : Madness, The Selecters, The Specials
Rocksteady : Ken Boothe, The Heptones, The Maytals, The Paragons
Dub : King Jammy, Augustus Pablo, Lee « Scratch » Perry, King Tubby
Reggae roots: Horace Andy, Jimmy Cliff, Gregory Isaacs, Bob Marley, Sly & Robbie, Peter Tosh
Reggae anglais: Aswad, Steel Pulse, UB 40
Petit lexique
Calypso : musique de carnaval afro-caribéenne, originaire de Trinidad
DJ (DeeJay) : précurseur des DJ's d'électro ou de hip-hop, c'est celui qui fait vivre un Sound system en diffusant les disques et en les commentant (Kool Herc, King Stitt, Big Youth,…)
Dreadlocks : épaisses nattes de la coiffure des rastas, inspirées du Lion de Juda du drapeau éthiopien
Ganja : autre nom du cannabis, utilisé comme aide à la méditation par les Rastafari
Grounation : assemblée religieuse des communautés rastas
Labels et Studios d'enregistrement : Black Arck (Lee «Scratch» Perry), Island (Chris Blackwell), Studio One (Coxsone), Trojan (Blackwell & Gopthal), Tuff Gong (Bob Marley)...
Maroons : de l'espagnol Cimarron, « indomptable », désigne les esclaves rebelles
Producteurs / Ingénieurs du son : liés aux studios ou aux sound systems, ils ont forgé le(s) son(s) du reggae (Chris Blackwell, Coxsone, Lee Perry, Duke Reid,...)
Rastafarisme : de « Ras Tafari », titre de leur messie et guide spirituel, l'Empereur d'Éthiopie Hailé Sélassié (1892-1975). Mouvement populaire et libérateur apparu dans les années 30 et qui s'inspire de la Bible et des idées de Marcus Garvey, militant du panafricanisme
Reggae : désigne généralement l'ensemble des musiques jamaïcaines. Plusieurs hypothèses étymologiques, dont les plus répandues sont : « streggae » (patois jamaïcain), fille facile ; ou la contraction de « regular guy » (anglais), gars ordinaire, banal
Sound systems : sonos mobiles surpuissantes où officient les DJ's
Toast (toaster) : art vocal jamaïcain, précurseur du rap New-Yorkais, qui consiste à débiter un flot de paroles sur des disques instrumentaux (Count Machuki, U-Roy…)
Trenchtown : ghetto de Kingston dont sont issus nombre de musiciens de reggae
Sources
Bruno Blum. Bob Marley, le reggae et les rastas. Paris : Éditions Hors-collection, 2004
" Le reggae : ska, dub, DJ, ragga, rastafari. Bordeaux : Castor astral, 2010
Denis Constant. Aux sources du reggae : musique, société et politique en Jamaïque. Marseille : Parenthèses, 1986
Florent Mazzoleni. Reggae 100 : parcours musical autour de la Jamaïque. Marseille : Le Mot et le reste, 2013
Michèle Mira Pons. Le reggae : la voix de la rue. Paris : Hachette, 1995
Chris Salewicz & Adrian Boot. Reggae explosion : histoire des musiques de la Jamaïque. Paris : Seuil, 2001