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LE JAZZ NEW ORLEANS
Petit aperçu du Jazz New Orleans
La Louisiane aujourd'hui n'est qu'une partie de celle que revendiquait Cavelier de La Salle en 1682. Intégrée à la Nouvelle-France*, puis perdue après la guerre de Sept Ans au profit des Britanniques et des Espagnols, elle est de nouveau française, brièvement, avant d'être vendue aux jeunes États-Unis - indépendants depuis 1776 - en 1803.
Cet immense territoire aux frontières floues - patrie des Amérindiens parcourue par les pionniers, trappeurs et autres coureurs des bois - attire peu de migrants qui restent surtout concentrés sur les bords du fleuve Mississippi.
En 1718 est bâtie la Nouvelle-Orléans, sur le fleuve, grand port maritime ouvert sur le Golfe du Mexique et les Caraïbes, et à la population hétéroclite : migrants français, britanniques et espagnols (plus tard italiens et allemands), soldats, bagnards et prostituées, exilés acadiens, marins antillais, esclaves déportés d'Afrique, qui ont tous apporté leurs cultures. Chacun entretient le souvenir de son pays d'origine et l'air est empli des musiques qui vont mutuellement se féconder (musique traditionnelle irlandaise, chansons italiennes, habanera cubaine, marches militaires, opéra, musique de danse et de ballet...). De ce melting-pot culturel surgit l'histoire musicale de la Nouvelle-Orléans qui a su brasser avec succès toutes les traditions qui y ont accosté.
Dans les plantations de Louisiane les esclaves africains, accompagnés au banjo et au piano, dansent le cakewalk* popularisé ensuite par les minstrels* dès le début du XIXe siècle et qui sera, avec les chants de travailleurs du chemin de fer, une des origines du ragtime* - né ailleurs vers 1890 - lui-même précurseur du jazz et faisant le lien entre la musique des Noirs et celle des Blancs.
A Congo square*, un des rares lieux aux États-Unis où les esclaves peuvent utiliser leurs instruments, dans le quartier Néo-Orléanais de Tremé, les tambours résonnent tous les dimanches pour communiquer, danser, et célébrer les rites vaudous. Au contact des Blancs, les Afro-Américains se sont aussi appropriés de nouveaux instruments, notamment les cuivres réformés de l'armée qui s'ajoutent aux percussions et au banjo, tandis que nombre de Créoles*, forts de leur instruction musicale, s'orientent vers la musique savante.
A la fin du siècle la musique est partout, dans les lieux publics, les maisons, sur les bateaux à aubes, et surtout dans la rue où chaque occasion – fête, pique-nique, mariage, enterrement,… - est un prétexte pour faire défiler spasm-bands*, brass-bands* ou wagon-bands* qui s'affrontent en joutes improvisées. Dans cette « hot music », comme on l'appelle alors, le jazz est en gestation, pas uniquement à la Nouvelle-Orléans mais sans doute là plus qu'ailleurs si l'on en juge par le nombre de pionniers qui y ont créé les premiers chefs-d'oeuvres du jazz (Buddy Bolden, Jelly Roll Morton, King Oliver, Louis Armstrong's Hot Five & Hot Seven, …). Les orchestres de New-Orleans, entre fanfare et orchestre de saloon, se composent de cinq à huit instruments* pour cette musique festive et joyeuse qui fait la part belle à l'improvisation collective.
Comme tout port qui se respecte, la Nouvelle-Orléans a ses quartiers chauds, en l'occurrence Storyville*, haut-lieu des plaisirs et de la débauche, et un des principaux foyers du jazz.
A sa fermeture en 1917, lors de l’entrée en guerre des États-Unis, la plupart des musiciens noirs qui l'animent - pianistes de bars ou orchestres de rue - suivent le mouvement des grandes migrations intérieures américaines qui poussent les populations noires du Sud vers la Californie ou les prospères cités du Nord, notamment New-York et Chicago où aura lieu le premier enregistrement de jazz en 1917, du Dixieland* (Original Dixieland Jass Band « Livery stable blues »), favorisant ainsi la diffusion du jazz dans toute l'Amérique.
New-Orleans et Dixieland laisseront la place au Swing et ses Big bands dès les années 30 avant de connaître un revival dix ans plus tard.
PRINCIPAUX NOMS
Ensembles : Louis Armstrong's Hot Five & Hot Seven / King Oliver's Creole Jazz Band / Original Dixieland Jass Band (Dixieland)
Instrumentistes : Louis Armstrong (trompette, chant) / Sidney Bechet (clarinette/saxo soprano) / Bix Beiderbecke (Dixieland) (cornet) / Buddy Bolden (cornet) / Kid Ory (trombone) / King Oliver (cornet) / Jelly Roll Morton (piano) / Johnny St Cyr (banjo)
INSTRUMENTS DES ORCHESTRES NEW-ORLEANS
Section mélodique (Front line) :
trompette ou cornet / clarinette ou saxophones / trombone
Section ryhmique (Second line) :
batterie / contrebasse / guitare, piano ou banjo
À ÉCOUTER
Basin street blues (Spencer Williams) / Do you know what it means ... (Louis Armstrong) / St Louis Blues (W.C. Handy) / Muskrat ramble (Ray Gilbert – Kid Ory) / Petite fleur (Sidney Bechet) / Royal garden blues (Spencer Williams) / Tiger rag (Original Dixieland Jass band)
Petit lexique
Brass band : ensemble de cuivres souvent accompagnés de percussions, typique de la Nouvelle-Orléans, et à l’origine du jazz instrumental
Cake-walk : danse née dans les plantations et qui parodie les danses de salon et la gestuelle des Blancs, popularisée ensuite par les minstrels shows*
Congo square : place de la Nouvelle-Orleans, dévolue chaque dimanche aux esclaves qui s'y réunissaient, au XIXe siècle, pour chanter, danser, communiquer, et se consacrer à des rituels vaudous
Créoles : terme changeant qui désigne au début du XIXe siècle les descendants de colons européens et de mères africaines. Ils se prévalent généralement de leurs origines et de leur éducation classique à l'Européenne (qui inclut la musique) pour se distinguer des Noirs relégués au bas de l'échelle sociale
Dixieland : nom donné au style New-Orleans joué par des blancs, aussi appelé Chicago jazz à cause de l'ampleur prise dans cette ville dans les années 20
Jazz : aussi orthographié Jass au tout début, ce terme ferait référence à l’énergie sexuelle, ou l’acte lui-même, parfois dans un sens péjoratif ou méprisant
Minstrels shows : spectacles de variété animés par des minstrels (ménestrels) Blancs grimés qui miment et parodient les Noirs, remplacés par de véritables Noirs (eux-aussi grimés) après la Guerre de Sécession
Nouvelle-France : vice-royauté du royaume de France, de 1534 à 1763, comprenant l'Acadie, le Canada et la Louisiane
Ragtime : « temps déchiré », musique écrite pour piano, datant de la fin du XIXe siècle, issue du Cake-walk* et des minstrels shows*
Spasm bands : orchestres de rue de la fin du XIXe, souvent composés d'enfants, et dont les instruments sont fabriqués avec des objets de récupération
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
Noël Balen. L'odyssée du jazz. Paris : Éditions Liana Levy, 1993
J.E. Berendt. Le grand livre du jazz. Éditions du Rocher, 1994
Frank Bergerot et Arnaud Merlin. L'épopée du jazz. Coll. Découvertes. Paris : Gallimard, 1991
Jean-Stéphane Brosse. Le jazz. Coll. les Essentiels. Éditions Milan, 1996
Philippe Carles, André Clergeat, Jean-Louis Comolli. Nouveau dictionnaire du jazz. Coll. Bouquins. Paris : Robert Laffont, 1994
Collectif. Encyclopédie de toutes les musiques. Paris : Hachette, 2004
Jacques B. Hess. Le ragtime. Coll. Que-sais-je ? Paris : P.U.F., 1992
DVD
Jean-Christophe Victor. États-Unis, une géographie impériale. Paris : Arte vidéo, coll. Le dessous des cartes, 2005