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LE TANGO
Petit historique du Tango
Le tango, musique urbaine par excellence, apparaît dans les faubourgs cosmopolites de Buenos-Aires dans les années 1870-1880. Véritable phénomène culturel qui allie musique, danse et poésie, il est né de l'immigration et du métissage des musiques folkloriques locales (milonga*, danses de la pampa,...) avec l'habanera* (introduite par les marins cubains), le candombé* africain (amené par les esclaves) et des danses de couple importées par les migrants européens (polkas, mazurkas, valses…). Les tangos les plus anciens, danses syncopées à deux temps caractérisées par l'improvisation, sont par ailleurs des imitations parodiques des danses des Noirs.
On peut voir, à cette époque, des couples d'hommes danser au son d'un orgue de Barbarie, sur les trottoirs de Buenos-Aires ou dans les conventillos*, parce que les femmes sont rares dans cette population d'immigrants essentiellement masculine, et qu'il est indispensable de s'exercer avant d'oser aborder celle qu'il faudra séduire dans les maisons closes ou les milongas.
Cette période dite de la Guardia vieja, qui s'étend de 1900 à 1920 environ, correspond au tango rioplatense*, celui des faubourgs, de la violence et de la prostitution. Les premières partitions apparaissent, qui font le lien entre la musique rurale improvisée de la payada et celle à venir, urbaine et écrite sur fond de lunfardo*.
Méprisé et rejeté par la bonne société portègne pour ses origines et son aura sulfureuse, le tango, après avoir séduit le Tout-Paris des années 1910, revient triomphant à Buenos-Aires où il est enfin accepté bien qu'il soit maintenant condamné par l'Église (en 1914).
Au tournant des années 20 il devient tango cancion* lorsque les poètes s'en emparent et remplacent les fragments trop crus improvisés par les payadores* par des odes nostalgiques à l'exil et aux amours perdues, des thèmes récurrents du tango. Dans la même période, l'arrivée de la radio et du phonographe amplifie sa diffusion et lui procure une dimension nouvelle de culture de masse, en mettant en avant les chanteurs qui accèdent ainsi à la notoriété (Carlos Gardel "Mi noche triste", 1917).
Cette Guardia nueva s'arrête selon certains en 1935 (date de la disparition de Carlos Gardel et de l'apparition des grands orchestres typiques) ou durera jusqu'aux années 50-60 pour d'autres, incluant ainsi la période de l'âge d'or du tango (de 1935 à 1955, année de l'apparition d'Astor Piazzolla et du coup d'État qui renverse Juan Peron).
Le bandonéon se généralise et remplace peu à peu la flûte traversière, et le tango, qui séduit maintenant les classes aisées, devient moins provocant à mesure qu'il s'éloigne de ses origines populaires. (Anibal Troilo ; Osvaldo Pugliese)
Dans les années 60, Astor Piazzolla bouscule les conventions en faisant du tango une musique de concert. Son Nuevo tango se caractérise par de nouvelles harmonies et orchestrations empruntées à la musique savante, et met l'accent sur la partie instrumentale plutôt que sur les paroles.
Une nouvelle génération, apparue dans les années 90, lance la Guardia joven qui vise à redonner au tango, tombé en désuétude depuis 30 ans, son image populaire et frondeuse.
Le tango n'en finit pas de séduire et de troubler les esprits, comme en Finlande (premier pays producteur de tango, en-dehors de l'Argentine) où il est une spécialité nationale depuis les années 30 au point que le réalisateur Ari Kaurismaki a déclaré un jour : "Carlos Gardel était en fait un marin finlandais".
PRINCIPAUX NOMS
Tango instrumental : Osvaldo Pugliese / Orchestre Tipica Victor / Annibal Troilo
Tango cancion : Carlos Gardel / Susana Rinaldi "La Tana"
Nuevo tango : Astor Piazzolla
Tango finlandais : Markus Allan / Eino Grön / Olavi Virta
Paroliers et poètes : J-L. Borges / Pascual Contursi / Enrique Discepolo
QUELQUES TITRES RECOMMANDÉS
El Choclo (Discepolo, Villoldo, Catan) / Dame la lata (Juan Perez) / La Cumparsita (Matos Rodriguez) / Mi noche triste (Contursi / Catriosta) / La Yumba (Pugliese)
Petit lexique
Bandonéon : instrument à vent d'origine allemande, assez proche de l'accordéon, utilisé dans les églises et dans les musiques folkloriques d'Europe centrale. Se joue assis
Compadre : caïd de quartier, figure incontournable du tango, comme le compadrito qui le prend pour modèle
Compadrito : petit voyou sans envergure
Contredanse : de l'anglais Country dance, danse de salon à figures, très en vogue en France au XVIIIe siècle, qui donnera le Quadrille puis influencera nombre de pays particulièrement aux Antilles et en Amérique du Sud
Conventillos : "petits couvents", ensembles créés dans les grandes maisons des riches Porteños, abandonnées et reconverties en habitat collectif pour les familles pauvres. Un des foyers du tango
Gaucho : figure mythique de la littérature hispanique, cow-boy, poète, et parfois bandit de grand chemin
Habanera : danse originaire de Cuba, issue de la Contredanse (Carmen / Bizet, 1875)
Latifundiste : grand propriétaire terrien. De Latifundia, immenses propriétés terriennes en Amérique latine pendant la période coloniale
Lunfardo : de "lunfa", voleur : vocabulaire populaire de Buenos-Aires, nourri des dialectes des immigrants et des criollos* (voir lexique Musique argentine) selon certains, argot de la pègre selon d'autres. Souvent utilisé dans le tango
Milonga : genre musical et danse, d'origine africaine, né de la rencontre de la population noire d'Argentine, des paysans, et des immigrants, et précurseur du tango. Désigne aussi le lieu où l'on danse
Orquesta tipica : formation traditionnelle pendant la Guardia nueva, composée de deux bandonéons, deux violons, un piano et une contrebasse
Portègne : de l'espagnol porteño, "du port"
Rio de la Plata : "Fleuve de l'argent", estuaire qui sépare l'Argentine de l'Uruguay, autre patrie du tango
Rioplatense : du Rio de la Plata*
Tango : origine incertaine, vraisemblablement africaine : "tango" désignait un endroit fermé où les esclaves Noirs se rassemblaient pour les fêtes
Tanguista, tanguero : danseuse, danseur de tango
Sources bibliographiques
Étienne Bours. Dictionnaire thématique des musiques du monde. Paris : Fayard, 2002
Gwen-Haël Denigot, Jean-Louis Mingalon, Emmanuelle Honorin. Dictionnaire passionné du tango. Paris : Seuil, 2015
Edmundo Eichelbaum. Carlos Gardel : l'âge d'or du tango. Paris : Denoël, 1984
Rémi Hess. Le tango. Coll. Que-sais-je ? Paris : P.U.F., 1996
Emmanuelle Honorin. Astor Piazzolla : le tango de la démesure. Éditions Demi-Lune, 2011
Michel Plisson. Tango : du noir au blanc. Paris : Cité de la musique / Arles : Actes Sud, 2001
Marie-Chloé Pujol-Mohatta. Tango-dico ! : dictionnaire voyageur et initiatique du tango. Gémenos : Autres-temps, 2013
Manuel Rodriguez-Blanco. Tango : le chant et la danse. Portet-sur-garonne : Éditions Loubatières, 2003
Jean-Luc Thomas. Chemins de tango. Biarritz : Atlantica, 1998
DVD
Caroline Neal. Une histoire du tango (si sos brujo). Paris : Bodega films, 2007
BD
José Muñoz et Carlos Sampayo. Carlos Gardel : la voix de l'Argentine. Paris : Futuropolis, 2010