Nager en eaux troubles : la piscine et le cinéma
Les réalisateurs ont toujours adoré filmer les piscines. Lieu de drague, de mise à nu, de compétition, de danger potentiel, le bassin carrelé, ciné-génique par excellence, a servi de décor à de nombreux films.
Cultes ?
La maladresse de Peter Sellers Dans The party, à l’origine de l’une des plus grandes soirées-mousse du cinéma.
Le Magnifique (Philippe de Broca, 1973) et Belmondo jeune, sa sortie de piscine, son peigne dans le maillot.
Le Lauréat (Mike Nichols, 1967) sur son matelas flottant, rêvant sur la musique « The Sound of Silence » de Simon & Garfunkel.
L’éveil des désirs
La piscine de Jacques Deray (1969) est la quintessence des films qui se déroulent au bord d'une piscine. Deray y filme de manière envoûtante l’idylle incandescente de Marianne (Romy Schneider) et Jean-Paul (Alain Delon). L’arrivée de deux nouveaux personnages va exacerber les tensions.
Nombreux sont ceux qui ont tenté de succéder à ce huis-clos sensuel, de François Ozon avec Swimming Pool (2003) au plus récent Call me by your name (Luca Guadagnino, 2017) : La douceur de l’Italie, la nonchalance d’un été au soleil, une idylle entre deux hommes...
Dans Naissance des pieuvres (2007), Céline Sciamma filme l’éveil du désir de trois adolescentes, sous la douche, dans les vestiaires, dans le bassin. Baz Lurhman dans Romeo + Juliette revisite un classique de la tragédie shakespearienne en transposant la fameuse scène du balcon dans une piscine.
Nostalgie de l’âge d’or
Les aventures de Pauline détective (2012) se déroulent entre la piscine, la discothèque, la salle de fitness… Marc Fitoussi offre une comédie policière stylisée et pétillante, inspirée par les actrices de l'âge d'or hollywoodien, l'univers de Jacques Demy et les romans de la Bibliothèque rose. Ave Cesar (les frères Coen, 2016) rend un hommage à Esther Williams, actrice et nageuse des années 40 et 50 et aux chorégraphies aquatiques de cette époque.
Grandeur et décadence
Signe extérieur de richesse, parfois obscène, la piscine exacerbe aussi les tensions de classes, la violence et les jalousies.
Fable absurde s’attaquant à la bourgeoisie et au consumérisme, The Swimmer de Frank Perry (1968) montre un homme ruiné qui décide de rentrer chez lui à la nage en traversant toutes les piscines du quartier. Boogie nigths de Paul T. Anderson (1997) raconte l'histoire d'un jeune en galère du jour au lendemain propulsé dans le monde du cinéma pornographique. La scène de la piscine commence par un plan séquence qui passe d’un groupe à un autre, jusqu’à plonger avec la caméra dans la piscine.
Dans The Social Network (David Fincher, 2010), Mark Zuckerberg regarde ses amis faire de la tyrolienne au-dessus de leur piscine. On perçoit la démesure du créateur de Facebook dans cette métaphore de la destruction.
Le luxe, la drogue et l’argent constituent les trois piliers du décor du Loup de Wall Street (Martin Scorsese, 2013). La piscine remplie de fêtards est à l’image de la vision extravagante du trader : "More is never enough".
Le bain amniotique
On plonge dans le bassin pour renaître, se ressourcer, se révéler à soi-même. Source de vie, de pureté, de fertilité, l’eau chlorée agit comme un philtre vital sur les nageurs qui s’y immergent. Dans L’Effet aquatique (2016), Samir fait mine de ne pas savoir nager pour le plaisir de retrouver Agathe, professeure de natation. Plongée tendre et burlesque de Sólveig Anspach (1960-2015) dans ce milieu humide dont elle vantait « la moiteur libidinale, la torpeur indicible ». Dans Cocoon (Ron Howard, 1985), trois hommes âgés découvrent les pouvoirs de cocons laissés par des aliens dans une piscine proche de leur maison de retraire. Littéralement un bain de jouvence.
Le bassin est le révélateur de vérité. Nanni Moretti l’expérimente dans Palombella rossa (1989) : au cours d’une partie de water-polo, un amnésique retrouve la mémoire.
Le feel good movie de Gilles Lellouche, Le Grand Bain (2018), montre une ribambelle d’hommes cabossés qui reprend goût à la vie en se mettant à la natation synchronisée.
Plongée dans l’angoisse
Dans Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955), il n’est pas question d’une piscine d’agrément. Dès le premier plan, la piscine abandonnée avec ses eaux stagnantes plonge le film dans une angoisse sourde. Il y un corps au fond de cette piscine. Le crime parfait ?
Qui ne connaît pas Guizmo, petite boule de poils et les règles à respecter pour éviter les ennuis ? Dans le premier opus de la comédie horrifique (Gremlins, Joe Dante, 1990), un gremlin issu d’une nouvelle génération parvient à plonger dans une piscine municipale, causant une multiplication phénoménale de petits êtres démoniaques.
Les films d’épouvante exploitent également ce décor. La scène de la confrontation finale du film It follows (David Robert Mitchell, 2015) se déroule dans un bassin de natation. Élément capital du film (qu’elle soit sale, vide, ou protectrice), la piscine est le seul endroit où l’héroïne se sent capable de faire face.
Un défi technique
Tourner un film en piscine relève parfois d'un certain challenge technique...
Le résultat est souvent impressionnant : en atteste le plan-séquence du premier acte de Soy Cuba (Mikhail Kalatozov, 1964) avec la caméra qui entre dans l'eau et en ressort avec une fluidité déconcertante.
La scène de danse à la piscine dans La La Land (Damien Chazelle, 2017) est certainement l'une des plus spectaculaires du film. Les Crevettes Pailletées (Cédric Le Gallo et Maxime Govare, 2019) contient une scène dans laquelle la piscine se métamorphose en un immense night-club. On assiste à sept minutes de plan-séquence avec cent-cinquante figurants mais surtout une caméra qui zigzague et opère des vas-et-viens sous l'eau comme un insecte volant.
Si les acteurs du Grand Bain se sont entraînés pendant six mois à l'INSEP avec l'ex-nageuse Julie Fabre, le tournage des chorégraphies aquatiques fut un défi de réalisation pour Gilles Lellouche (direction des acteurs, découpage, etc.).
Enfin, un certain nombre de films dont l'action se déroule en mer ont en réalité été tournés... à la piscine. C'est le cas de Titanic (James Cameron, 1997).
Nager en eaux troubles, Nager dans le bonheur ou entre deux eaux, se jeter à l’eau ou y tomber... Films d’horreur, comédies, drames, teen-movies, remakes, films d’auteur et blockbusters... Voici un petit récapitulatif des films qui se déroulent au bord d'un bassin.